Psychogénéalogie
La psychogénéalogie est l’art de « butiner le jardin familial pour en faire son miel ! », comme le disait Anne-Ancelin Schützenberger, figure emblématique de la discipline.
« Nous sommes moins libres que nous ne le croyons. Mais nous avons la possibilité de conquérir notre liberté et de sortir du destin familial répétitif de notre histoire. Comment ? En comprenant les liens complexes qui se sont tissés dans notre famille, et en éclairant les drames secrets, les non-dits et deuils inachevés,» posait d’emblée Anne Ancelin Schützenberger, lors de l’entretien qui se déroulait dans son antre à l’atmosphère si particulière, en 2000.
Anne Ancelin Schützenberger est Auteure du best-seller Aïe mes aïeux. Publiée dans la seconde moitié de sa vie, son nom restera gravé dans nos mémoires comme la figure emblématique de la psychogénéalogie. « Un art et une science, une démarche qui nous permet de comprendre et d’utiliser au mieux notre héritage psychique, ou si besoin est, de le transformer », comme elle la définissait.
La grande dame, née à Moscou, a rejoint ses ancêtres le 23 mars 2018 ; elle aurait eu 99 ans. Si ces influences sont plurielles (R Gassain, F Dolto, JL Moreno, C Simonton, E Goffman), Anne Ancelin Shützenberger s’est littéralement, au fil du temps, imposée comme une référence. Comme celle qui a introduit la dimension psychogénéalogique (et transgénérationnelle) dans la pratique thérapeutique actuelle.
Transgénérationnel :
Terme devenu courant aujourd’hui, dont on peut retracer l’origine, dans les années 80, à Nice, précisément, « dans le but de faire comprendre à mes étudiants en psychologie, médecins et travailleurs sociaux à l’université ce qu’étaient les liens familiaux, la transmission, et le transgénérationnel » expliquait-elle.
Tant universitaire que clinicienne
Comment en est-elle arrivée à ce moment décisif ? Ce qui caractérise Anne Ancelin Schützenberger, c’est son parcours singulier, tant universitaire que clinique.
A l’âge de 18 ans, elle intègre l’Institut d’Optique, une grande école scientifique d’ingénieurs (où elle est la seule fille), fréquente Sciences Po en auditrice libre, et suit de longues études universitaires dans plusieurs domaines de sciences humaines. « Son bagage en sciences politiques, économiques et anthropologiques couplé à son inestimable génie intuitif dans les concordances psychogénéalogiques ont sans doute assis sa notoriété » commente Bruno Clavier, psychanalyste et psychologue clinicien. Qui ajoute : « Elle était également réputée pour traquer les fantômes historiques ! ». Côté clinique, c’est avec un médecin anthropologue, Robert Gassain, qu’elle entreprend son parcours psychanalytique. Et Françoise Dolto, son maître à penser, à qui elle dédiera nombre de ses livres.
Autres personnalités incontournables sur son chemin : le fondateur du psychodrame J.L. Moreno. Elle suivra ses enseignements entre 1959 et 1962, aux Etats-Unis, avant de devenir sa représentante en France.
En 1967, la Nouvelle Université de Nice se construit avec une salle de psychodrame et lui offre une chaire pour enseigner les méthodes de groupe !
Professeur titulaire, expert es sciences humaines auprès des Nations Unies… elle poursuivra des études postuniversitaires à l’Université de Michigan aux Etats-Unis.
Pour Bruno Clavier : « Elle a donné ses lettres de noblesse à cette pratique dont elle a définit les termes dans un contexte rigoureux de recherches : psycho-historique, constatations cliniques de la psychanalyse, recherches sur la communication non verbale… »
Syndrome anniversaire : le point de départ
Si son apport rigoureux est fondamental, son génie intuitif l’est tout autant !
Pour nombre de psychothérapeutes, la professeure émérite est avant tout celle qui a introduit la dimension transgénérationnelle, par un biais qui a fait date : le fameux « syndrome anniversaire », la clé de voute de l’édifice tout entier.
Evoquer Anne Ancelin est indissociable d’une histoire, devenue emblématique de sa méthode, un peu comme Archimède et sa baignoire.
Travaillant auprès de malades atteints de cancer, avec l’apport de la méthode Simonton, alliant à la fois la médecine classique et un suivi psychothérapeutique par des visualisations positives, elle découvre dans leur biographie d’étonnants phénomènes de répétition.
Une importante rencontre :
La rencontre avec une jeune suédoise de trente cinq ans est déterminante. Cette malade se savait condamnée. On venait de lui amputer pour la quatrième fois, une partie du pied. Au dessus de la patiente trônait le portrait de sa mère, morte du cancer… à 35 ans.
C’était une course contre la montre !
Anne Ancelin Schützenberger a alors l’intuition de la puissante identification inconsciente de la jeune femme à sa mère, jusqu’à répéter son destin tragique…
Une intuition qui a changé leur vie, à toutes les deux.
« À la fois très analytique et concrète, avec une sorte d’instinct, de génie à aller dénicher le petit détail qui va dénouer les situations les plus complexes », souligne Sarah Serievic, diplômée de l’école française de psychodrame, psychothérapeute transpersonnelle.
A dater de cette découverte fulgurante, la psychogénéalogiste n’a de cesse d’étoffer ce postulat sur la date anniversaire. «Uun traumatisme enfoui, ou tu, dans la famille, qui peut régenter nos vies, de telle sorte que tout concourt pour que l’événement se produise : un accident, une chute immunitaire, une rupture, une faillite… »
Pour en finir avec les loyautés inconscientes
Toute sa vie, elle va explorer sans relâche cette mémoire transgénérationnelle. Une communication directe d’inconscient à inconscient, que J.L. Moreno appelle aussi « le co-inconscient familial et groupal ».
En clair, c’est par ce biais que les secrets de famille passent d’une génération à l’autre. Son premier objectif : « traquer les loyautés invisibles qui nous obligent à payer les dettes de nos ancêtres ».
On lui doit le génosociogramme. C’est une sorte d’arbre généalogique privilégiant des faits particuliers, marquants, des évènements chocs, en bien ou en mal, maladies, naissance, accident, …. Sur parfois une demie douzaine de générations : soit une sorte de roman familial de la lignée.
Autre point fondamental de son approche, peut-être moins connue du grand public : La notion de « tâches interrompues ».
Présentée dans la thèse de doctorat de Bluma Zigarnick, psychologie de la gestalt, elle traite de ce que l’on ressasse parfois sa vie durant. « Boucler la boucle est nécessaire pour « échapper » à ces répétitions » insiste Bruno Clavier, qui met en lumière cet apport.
Selon Anne Ancelin Schützenberger : « prendre conscience des répétitions peut parfois suffire à créer une émotion assez forte pour libérer la personne du poids de ses loyautés familiales inconscientes »
Comment ?
Et c’est là que le psychodrame intervient ! « Le fait de remettre en scène la situation ancienne de manière intégrale, soit le corps, et non le verbe seul, permet d’exprimer les sentiments réels et la tension qui a pu naître entre ce qu’on nous cache et ce qu’on avait pressenti » d’après la psychodramatiste émérite.
Ainsi, exprimer les émotions, sans retenue, ni pudeur, les secrets, les non dits, les traumatismes enfouis, avec la technique du psychodrame, permet de clore enfin les tensions accumulées, et d’achever « la gestalt », jusque-là à peine esquissée.
Sarah Serievic se souvient : « Pendant ma formation, quand je l’ai vue travailler en psychodrame, j’ai su qu’il y avait de nouvelles façons de rêver sa vie pour l’accomplir pleinement. Elle permettait de contacter plus grand que soi. C’était un maître dans cet art ! »
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