L’EMDR : reprogrammer le cerveau pour se libérer d’un traumatisme
Bouger les yeux pour guérir l’esprit ?
C’est le principe en résumé de l’EMDR, une méthode fondée à la fin des années 1980 par la psychologue américaine Francine Shapiro, auteure du livre de référence « Des yeux pour guérir ».
Titulaire d’un doctorat en psychologie et de littérature anglaise à l’Université de New-York en 1979, elle s’intéresse en même temps à la thérapie comportementale. C’est par hasard, lors d’une promenade dans un parc en mai 1987, qu’elle découvre que ses « petites pensées négatives obsédantes » disparaissent quand elle fait aller et venir rapidement ses yeux de gauche à droite. Il ne lui en faut pas davantage pour proposer l’exercice à ses collègues, l’expérimenter auprès de ses patients et créer l’EMDR, avec des résultats étonnants notamment pour les états de stress post-traumatique subis par les victimes de conflits, d’attentats, de violences sexuelles ou de catastrophes naturelles.
Elle a pu tester son protocole sur des vétérans de la guerre du Vietnam. Ses différents travaux lui ont valu plusieurs prix dont l’Award for Distinguished Scientific Achievement in Psychology en 1994 et le prix Sigmund Freud en 2002.
Validée par l’INSERM en 2004, puis par la Haute Autorité de Santé et plus récemment par l’OMS, l’EMDR est une thérapie qui permet de requalifier la mémoire émotionnelle. Les mouvements oculaires de droite à gauche, parfois aussi des tapotements sur un genou puis l’autre, ou encore la méthode dite du papillon (qui consiste les bras croisés sur la poitrine à tapoter une épaule puis l’autre), vont permettre aux deux hémisphères du cerveau d’être stimulés. Ce travail opéré par les hémisphères va mettre le cerveau en mode « retraitement du traumatisme ». Les événements stockés dans le système limbique vont sortir de leur enfermement pour être traités par le cortex cérébral qui permet de mettre les choses en perspective et d’archiver, en quelque sorte, le souvenir perturbant.
Pourquoi ça marche ?
Le corps garde la trace indélébile des traumatismes avec toutes les images, bruits, pensées et sentiments qui y sont associés. L’EMDR, par le mouvement des yeux, débloque les émotions négatives stockées dans le système nerveux et aide le cerveau à re-traiter l’expérience pour qu’elle soit «digérée». C’est grâce au processus neurologique initié que le cerveau est stimulé et métabolise les résidus dysfonctionnels du passé. Les souvenirs traumatisants perdent leur charge affective négative, ce qui met fin à la souffrance et aux réactions négatives (crises de panique, peurs incontrôlées, anxiété, compensations de toutes sortes, etc…)
Il y a actuellement des recherches en cours pour mieux comprendre et pour valider scientifiquement les processus qui expliqueraient le fonctionnement de l’EMDR : la synchronisation des hémisphères du cerveau ; l’ordonnance systématique des éléments du souvenir que sont l’image ; la représentation négative et les sensations physiques ; le déconditionnement par la distraction ; un effet hypnotique, et l’effet d’autoguérison de la psyché.
A savoir
Le nom EMDR a été créé en 1987, au moment où les mouvements oculaires constituaient un élément prédominant de la technique. Mais ce nom donne aujourd’hui une idée faussement réductrice de ce qu’est l’approche, celle-ci étant moins simple que le terme ne le suggère. Au fil de l’expérimentation et de la recherche, l’EMDR est devenue une méthodologie complexe qui, au dire de sa fondatrice, si elle était rebaptisée, s’appellerait maintenant Reprocessing Therapy.
Principes de la thérapie
« Si un événement douloureux a été mal “digéré” parce que trop violent, explique le psychiatre David Servan-Schreiber, les images, les sons et les sensations liés à l’événement sont stockés dans le cerveau, prêts à se réactiver au moindre rappel du traumatisme. Le mouvement oculaire débloque l’information traumatique et réactive le système naturel de guérison du cerveau pour qu’il complète le travail. »
La thérapie EMDR repose sur un constat : le simple fait de parler d’un traumatisme ne serait pas suffisant. Une personne traumatisée ne souhaiterait d’ailleurs pas évoquer le cœur de la scène traumatique dans la crainte d’être sur-traumatisée. L’EMDR créerait donc un protocole sécurisant pour accompagner la personne dans son rappel du noyau traumatique.
Ce rappel ne solliciterait pas seulement le registre verbal, mais tous les registres représentatifs : perceptions, cognitions, émotions, sensations corporelles.
L’efficacité des stimulations sensorielles bilatérales alternées repose sur un modèle neurologique où l’activation alternée des hémisphères cérébraux faciliterait la reconnexion des zones de traitement de l’information qui ont été dissociées par le trauma.
Un protocole en 8 étapes
La thérapie EMDR se pratique habituellement en 8 étapes successives :
1- Diagnostic et planification : la première phase consiste à s’assurer que l’EMDR est un traitement adapté au patient. Un aspect de cette évaluation concerne la capacité de la personne à faire face aux souvenirs de l’événement traumatisant qui seront ravivés pendant la thérapie. Le thérapeute prépare alors avec le patient un plan de traitement.
2 – Préparation et relaxation : le thérapeute prépare son patient en lui expliquant le déroulement de la thérapie. Il s’assure que le patient maîtrise quelques techniques de relaxation et est capable de contrôler les émotions succédant à une expérience désagréable.
3 – Évaluation : cette phase permet de déterminer les souvenirs qui feront l’objet du traitement. Pour chaque événement traumatisant conscient ou chaque situation anxiogène dans le présent, liée à un événement traumatisant (conscient ou non), le patient doit choisir une image qui représente l’événement ou la situation, une idée négative associée à l’événement et une idée susceptible d’élever l’estime de soi. Le patient évalue alors la validité de l’idée positive sur une échelle numérique. Il associe également l’image anxiogène et l’idée négative et évalue l’ampleur de sa détresse sur une échelle numérique.
4 – Désensibilisation : le patient se fixe sur l’image traumatisante, l’idée négative et le ressenti corporel. Le thérapeute lui demande de suivre en même temps avec les yeux ses doigts ou un point lumineux qu’il déplace dans l’espace alternativement d’un côté à un autre. D’autres stimuli peuvent être également utilisés lors de cette phase. Le patient est encouragé à suivre les associations mentales qui se font naturellement pendant cet exercice. Cette phase du traitement continue jusqu’à ce que le patient évalue sa détresse à 0 ou à 1 sur l’échelle introduite lors de la phase précédente.
5 – Ancrage : la phase suivante vise à associer l’idée positive à ce qu’il reste du souvenir de l’événement traumatisant. Quand l’évaluation de la détresse atteint 1 ou 0, le thérapeute demande au patient de penser à l’objectif fixé en début de séance. Les étapes 3 à 5 recommencent à chaque séance pour une nouvelle image traumatisante.
6 – Bilan corporel : le patient garde à l’esprit l’événement traumatisant et l’idée positive à laquelle il a été associé durant la phase précédente et passe en revue systématiquement ses sensations corporelles. Le but de cette phase est de repérer des « tensions » ou des « sensations négatives » qui subsisteraient et d’aider à les dissiper toujours au moyen de séries de mouvements oculaires.
7 – Conclusion : à la fin d’une séance, le thérapeute fait en sorte que son patient se trouve dans un état émotionnel stable, que le traitement soit terminé ou non. Il prépare également son patient à réagir correctement (par la relaxation, etc.), au cas où le souvenir de l’expérience traumatisante surgirait entre les séances.
8 – Réévaluation : au début de la séance suivante le thérapeute demande au patient de repenser au but fixé lors de la séance précédente. En fonction des réactions du patient, il évalue l’effet de la thérapie et adapte son déroulement en conséquence. Vers la fin de la thérapie, le patient est invité à tenir un journal concernant les souvenirs travaillés pendant les séances et les associations qui lui viennent à l’esprit en dehors des séances.
De Olivier Desurmont & Ioana Del Sol
A NOTER : l’EMDR est actuellement reconnue de par le monde par de nombreuses instances, dont l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis août 2013.